Après une première tentative de construction d’un amplificateur de guitare à tubes, qui s’est avéré fonctionnel mais qui possédait une sonorité dominée par le «hum» (parasites provenant de l’alimentation à 120 V) et que j’aimais plus ou moins, j’ai décidé de me lancer dans un projet moins ambitieux, c’est à dire un étage de pré-amplification indépendant. Comme l’ampli de guitare susmentionné avait été réalisé sans trop de connaissances sur le fonctionnement des tubes à vide et en copiant bêtement divers schémas obtenus ici et là, je voulais cette fois concevoir un circuit de A à Z et avoir une liste de pièces minimale pour ne pas avoir à dépenser une fortune sur un projet que, comme d’habitude, je n’allais probablement pas mener à terme, paresse oblige !
Le circuit
Après avoir lu un peu sur le sujet (notamment l’excellent «Tube HowTo Part 1» sur le site de Boozhound Labs), je me sentais d’attaque pour commencer à développer un circuit très simple qui utiliserait un seul tube à triode double, en l’occurence la 6SN7 utilisée dans le HowTo, voyez-y un hasard !) par canal et un découplage capacitif direct sur la sortie (par faute de nepas vouloir investir sur plus de transformateurs que nécessaire).
En possession de la charte de référence pour ampli RCA (Resistance-Coupled Amplifier, Amplificateur à couplage par résistance selon Jean-Guy Grenier) de ce tube, je n’avais plus qu’à trouver une tension d’alimentation convenable et le transformateur qui aurait l’obligence de me la fournir !
C’est là que le destin me frappe en plein visage avec un petit transformateur Hammond 120 V – 14 V, que j’avais acheté à mon magasin de surplus le plus près 2 années plus tôt avec l’intention de faire une petite alimentation régularisée qui n’a évidemment jamais été complétée, vous aurez devinés ! Qu’à cela ne tienne, je me rends vite compte (après avoir repris mes esprits, un transfo à la gueule ayant ce don d’étourdir son prochain) qu’il possède un avantage indéniablepour en faire une source de haute-tension décente pour les tubes, à savoir deux bobinages primaires de 120 V isolés entre-eux ainsi qu’un secondaire à 14 V parfait, moyennant une petite modification (une résistance en série), pour alimenter les filaments.
Comme le deuxième primaire ne possède pas la prise médiane (le Center-Tap) qui m’aurait permis d’utiliser une lampe-diode comme la 5Y3, je dois me contenter d’utiliser un banal pont de diodes… Cela amène cependant un avantage : le pont peut tolérer des pics de courant beaucoup plus hauts que son équivalent à vide requis pour alimenter, disons, une banque de condensateurs de filtrage non-négligeable de l’ordre de 1000µF (c’est ainsi que je voyais alors les choses).
En possession de ces renseignements pour le moins vitaux, je dessine la première version du schéma dans mon premier cours de la session au Cégep et qui utilisait comme prévu une 6SN7 par canal, 1000µF de capacitance et des petits potentiomètres 10k 10 tours comme trimmers (obtenus pour presque rien chez ABRA Electronics la semaine précédente et que je me devais d’utiliser).
Le matériel
Après avoir reçu l’accord implicite de Jean-Maurice Boissard (un de mes professeurs passionné de Hi-Fi et de tubes, il va s’en dire !) sur la validité de mon modeste circuit, je cours chez mon revendeur de tubes préféré à Montréal. J’en reviens avec une paire de 12SN7 (un jumeau de la 6SN7, mais possédant des filaments de chauffage à 12.6 V au lieu de l’habituel 6.3) NOS de marque RCA pour un étonnant 50$ ainsi qu’une inductance de lissage. Pourquoi ai-je donc opté pour la 12SN7 ?
1. Mon transformateur opère à 14 V, donc beaucoup plus près de 12.6 V que 6.3 V, et le fait d’utiliser des 6SN7 m’aurait obligé à utiliser un chauffage en série;
2. Les 12SN7 sont un peu moins chères, tout simplement !
Seule ombre au tableau : le propriétaire de la boutique classe ses inductances par leur résistance et non pas par leur inductance, donc je me retrouve avec une bobine de 1 Henry, au lieu des 4 Henry prévus, lorsque je la teste avec mon multimètre.
Prochaine étape : ABRA, une fois de plus, pour essayer de trouver des condensateurs de découplage capables de résister à une haute tension et au plus bas prix possible. Je tombe sur le gros lot : des 2.2µF 250 V en polyester (en fait, j’aurais préféré tomber sur des Paper in Oil, mais il faut rester réaliste !), parfaits pour découpler mes résistances de cathode en toute conformité avec les valeurs spécifiées par la charte RCA.
En même temps, je trouve aussi des petits transformateurs exprès pour les filaments (Triad-Utrad 6.3V 600 mA) encore dans leur boîte en carton, que je ne prévois pas utiliser dans ce projet… Un opportuniste sait toutefois reconnaître une occasion de faire le plein de pièces quand il en l’occasion : c’est qu’ils se font rares de nos jours, voyez-vous, ces transformateurs !
Le châssis
Au risque de devenir de plus en plus soporifique, je me permets de faire une parenthèse au sujet du châssis, parce qu’il a une histoire particulière…
Quelques jours avant la rentrée, je me présente au Cégep pour faire modifier mon horaire quand je décide de faire un détour à mon département (Génie électrique) parce que je me rappelle que le magasinier a, camouflé dans un local poussiéreux, une montagne de relicats de la défunte TGÉ du cégep de St-Jérôme, et que dans la pile se trouvent des borniers à vis dont je manque justement en ce moment précis.
Mauvaise nouvelle : au nom du stock du magasin du département qui déclinait, leur nouvel employé a fait une razzia dans l’item particulier qui m’intéressait et il n’en reste plus… Je décide quand même de retourner faire un tour dans ce local en voie d’être vidé de son contenu dans une benne à ordures, persuadé de dénicher quelque chose qui m’intéresse.
Je trouve heureusement amplement de quoi me satisfaire : un bon vieux transfo d’isolation Hammond 750 VA (pratique pour ne pas s’électrocuter quand on travaille sous tension les deux pieds dans l’eau), deux Hammond 120 V – 24 V 100 VA, quelques tôles et – ô surprise – un chassis en U noir avec trois prises «banane» fichées en arrière qui serait parfait pour construire un ampli à tubes, justement ! Moyennant une job de nettoyage et de peinture, l’affaire est faite !
Une semaine plus tard, au moment d’acheter mes pièces, je suis décidé : mon préampli logera dans cette boîte.
La construction
Armé de ma perceuse et de mes emporte-pièces, je me mets à l’oeuvre pour transfigurer le boîtier (qui avait l’air d’être une alimentation régulée +15 / -15 ou quelque chose du genre) en amplificateur à tubes. Choix logistique : pour camoufler un trou bien peu esthétique présent sur le dessus du boîtier, je décide de passer de 2 à 4 condensateurs de filtrage de 470µF chacun (pour un total de 1880µF – si je n’ai pas un DC presque parfait à la sortie avec ça…) et de les monter sur le dessus.
Autre problème à l’horizon : je choisis d’assembler mes jacks 1/4″ d’entrée-sortie dans les trous laissés vacants des prises «banane» à l’arrière, mais cela oblige les fils de signal à passer en-dessous du transformateur (invitation irrésistible pour tout ce qui s’appelle interférences à s’infiltrer dans le son). Tant pis, je devrai m’y faire ! Je compense en prévoyant utiliser des restes de câbles blindés à 95% pour transporter le signal du jack aux tubes.
C’est le moment du dé-é-é-é-é-é-é-é-é-é-é-é-fi ! (ou un hommage aux «Débrouillards»…)
Pendant que je travaille sur le boîtier, un de mes amis (Carl P) reconnaîtront en lui le gars qui change pas souvent ses cordes de guitare…) me parle soudainement via MSN. Passé les politesses d’usage, je lui dis que je dois y aller, histoire de consacrer le plus de temps possible à mon nouveau projet.
Sitôt, Carl a des doutes : « Pas encore un projet que tu vas abandonner, Simon ? ». Réponse décidée : « Non ! Cette fois-ci, je le finis ! ». Sa réponse ne se fait pas attendre : « J’en doute. ». Piqué au vif, je décoche : « C’est un défi ? ».
Évidemment que c’en est un ! Je dois finir le préampli dans un délai de trois jours, sinon… Je perds et il se fout de ma gueule, tout simplement ! Carl lâche un dernier : « J’ai trouvé comment te rendre plus efficace ! Juste à te lançer un défi ! » avant que je retourne à mon établi. Non mais ! J’ai du travail à faire, moi !
Le câblage
Une fois l’usinage du châssis terminé, j’applique généreusement deux couches de peinture en aérosol vert forêt et je laisse sécher pendant la nuit. Le plus difficile reste à venir : câbler.
Armé de mon fer à souder, je commence par assembler tout ce qui s’appelle haute-tension alternative (le 120 V de la prise au transfo et du transfo au pont de diodes), histoire de me laisser le plus de place sans interférences pour la suite : la partie signal.
Pour la première fois, j’utilise un connecteur IEC (comme sur les blocs d’alimentation des ordinateurs) comme interface 120 V et je trouve que ce type de connecteur donne un look très professionnel. Comme vous l’aurez peut-être deviné, je me suis encore permis d’emprunter ce petit truc du tutoriel de Boozhound Labs, mais en y rajoutant ma touche personnelle : prendre un connecteur avec support pour fusible intégré, histoire de faire un trou de moins. Encore dans une optique d’économie, j’utilise des interrupteurs récupérés au Cégep pour appliquer l’alimentation et mettre le préampli en «stand-by» pendant que les tubes se réchauffent.
Une fois arrivé aux supports des tubes, je décide de tout assembler en point-à-point. Non pas que je préfère cette méthode à une autre plus particulièrement, mais le peu de pièces ne justifiait pas d’installer des tourelles (des «studs», quoi !), et le montage aurait probablement été trop haut pour pouvoir fermer mon châssis de toute manière ! Va donc pour le point-à-point !
Pour les condensateurs de découplage entre les étages, j’utilise un lot de 0.25µF 400V au polyester que j’avais acheté chez Radio Hovsep il y a près de 6 mois pour un autre projet d’ampli qui a tourné court.
Le test
Je branche l’ampli au mur, je mets mes lunettes de sécurité au cas où les électrolytiques soient pris de la mauvaise idée de fuir et/ou d’exploser, et j’applique l’alimentation. Rien d’alarmant ne se passe.
Histoire de ne pas frire ma console de son en y raccordant un ampli qui a le potentiel de fournir un signal de ±75 V en crête, j’opte pour la solution plus classique de l’oscilloscope. J’injecte une onde triangulaire de 1 kHz et je me rends compte que j’ai eu raison de m’inquiéter : à plein volume, les tubes arrivent à sortir un imposant ±20 V… Mais sinon, tout semble être normal et le préampli fonctionne !
Je réduis le volume au minimum et je décide de faire un test sur la console, puisque j’ai fait ce projet pour entendre le son des tubes, pas le voir sur un écran cathodique ! Tout en laissant l’oscilloscope branché je monte lentement le volume. Surprise ! Le signal atteint un pic maximal de 2 volts seulement. Beaucoup plus raisonnable ! Pendant que je me demande pourquoi la sortie se retrouve inexplicablement divisée par 10, j’en viens au raisonnement que l’impédance d’entrée de ma console (22 kiloOhms selon la fiche technique) doit y jouer un rôle significatif et pour cause : sitôt débranché, le signal de la sortie culmine de nouveau à 20 volts.
Avec quelques petites poignées «chicken-head» pour potentiomètres au look on-ne-peut-plus antique et le fond du châssis remis en place, le préamplificateur est prêt ! Il trouve sa place définitive sur mon bureau.
Idées d’amélioration
* Installer un interrupteur DPDT pour permettre l’opération des filaments de chauffage en série ou en parallèle, ce qui permettrait d’utiliser des 6SN7 en plus des 12SN7 actuelles.
* Installer des transformateurs de sortie 50k/1k pour éviter le phénomène d’atténuation dû à la charge sur la sortie.
Source: logiquefloue.ca | CC